Les incroyables photos de
Félix Arnaudin :
La vie, ce n'était pas
mieux avant.
Mais alors pas
du tout, du tout.


   
     
 

"C'était mieux avant".
On entend souvent ce genre d'affirmation très discutable. Discutable, car même si le progrès a engendré la pollution et un changement climatique sans précédent, non, le quotidien des gens n'était pas mieux avant. Surtout celui des ruraux. La Haute-Lande en est un exemple parmi d'autres et nul doute que de la Bourgogne en passant par la Beauce jusque dans les airials, ça ne rigolait franchement pas tous les jours.

Non, ce n'était pas mieux avant...

     
 
 
     
  1 - Monsieur le Photographe.
Félix Arnaudin
, célèbre photographe de Labouheyre du 19ème siècle, mondialement reconnu pour son travail sur cette époque et sur la Grande Lande, a pris des multitudes de clichés magnifiques, emplis d'émotion, mais aussi très révélateurs d'un passé disparu.
Et même si ces photos sont très souvent des photos dans lesquelles les personnages posent, ça nous en dit beaucoup sur le quotidien de l'époque.
Nous avons donc choisi une photo de groupe d'autrefois parmi d'autres et nous l'avons scrutée à la loupe, en nous posant cette question : était-ce si bien autrefois ?
 


Image NON générée par une I.A.

 

2 - Quelle photo ?
La photo que nous avons choisie, visible plus bas au paragraphe 3, sera celle représentant de nombreuses fileuses de chanvre à la veillée dans la cuisine d'une maison, en 1893.
A noter que, comme indiqué par beaucoup d'observateurs, il est évident que ce cliché a été construit et mis en scène par Félix Arnaudin, car la maison servant de décor semble en fait abandonnée ; en effet, elle n'a plus de toit, la lumière ambiante venant du haut le prouvant.


     
 

Pour faire une photo d'intérieur, c'était très difficile, il fallait de toute façon beaucoup de lumière, au vu des possibilités encore limitées du matériel photographique de l'époque. Donc, on enlevait les toits et on les remettait ensuite, une fois le cliché pris. Voilà.

Vous gobez n'importe quoi, c'est ça, n'est-ce pas ?

 
     

Il faut aussi se rappeler que lors des temps héroïques de la photographie, les photographes devaient imposer aux courageux volontaires de ne pas bouger pendant un long moment pour que la photo puisse s'imprégner sur la plaque, d'où l'aspect un peu figé des personnages, qui retenaient leur respiration avant de s'écrouler par terre à bout de souffle, dans un grand fracas.
Peut-être pas tous, remarquez.

Une ultime précision : en ce qui concerne l'ambiance un peu glauque, nous avons fait exprès de choisir une photo un peu neutre, car si vous consultez l'œuvre photographique de Félix Arnaudin, sachez que parfois, c'est un peu trash.

 

MIEUX avant ? Sûr ?
Vous pourriez vous passer de certaines choses ?

Image NON générée par une I.A.

 
     

 

 

3 - La photo, on y est, ça va démarrer enfin.

La photo représente donc de nombreuses paysannes de la Haute-Lande et nous allons supposer ce qu'était le quotidien de ces femmes, par rapport aux connaissances médicales, scientifiques, techniques de l'époque.
Bien sûr, nous avons inventé le destin de chacune de ces fileuses qui, elles, ont vraiment existé, mais ce que nous racontons est ce que vivait réellement la plupart des gens avant 1900.
Nous avons donc généralisé pour démontrer que souvent, ce n'était pas si bien que ça, le passé.

Sur cette photo, vous apercevez des numéros.
Sous la photo, vous retrouvez les mêmes numéros avec un texte qui raconte ce que l'on voit sur le cliché, (ou plutôt ce qui concernait les gens en général, répétons-le).

 
LA PHOTO
   
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Les COMMENTAIRES
       
 
1

Le maïs est bien là, trop présent. Même si la dernière famine "officielle" date de 1850 dans la région, la misère conduisait les paysans à trop en manger, et ils contactaient la pellagre dite "Pellagre des Landes Girondines" ou "de La Teste". Cette maladie diagnostiquée en 1830 conduisait les gens à se suicider en se noyant (puits, lagunes), tellement les souffrances étaient atroces (appareil digestif, etc).

  Pour en savoir plus sur
la pellagre dans les landes
  Pour en savoir plus sur
la pellagre dans le Monde

 
 
2
La cataracte guette probablement cette femme, comme la plupart des individus à son âge. A cette époque, on en devenait aveugle.
 
 
3
Cette fileuse souffre peut-être d'un cancer, comme beaucoup d'autres, mais elle ne le sait pas forcément. Pourtant, plusieurs formes de cette maladie sont connues et diagnostiquées au moins depuis l'Antiquité. La guérison est encore très peu probable en 1893, les premières chimiothérapies étant apparues en 1940.
 
 
4
Jeanne aurait-elle très mal à une dent ? Elle se la fera alors sûrement arracher, la douleur résistant souvent aux remèdes par les plantes (clou de girofle, etc.), sans parler des infections graves possibles. Quant à essayer de faire soigner vraiment la pénible quenotte, c'était un luxe plutôt réservé à la classe dominante, même si la fameuse fraise du dentiste est née en 1871. De plus, les premiers anesthésiants efficaces de cette époque-là étaient encore trop coûteux.
Cela dit, il faut bien reconnaître
qu'à notre époque, les soins dentaires restent chers, hors dispensaires, si on ne dispose pas d'une bonne couverture sociale, et certains font donc l'impasse par manque d'argent.
 
 
5
Cet enfant a une attitude un peu inquiète, due à la pose pour la photo, mais il présente surtout des cernes prononcées, et ce n'est pas pour avoir trop joué aux jeux vidéos. Il se nourrit très frugalement, comme ses parents, et il manque de certains éléments essentiels à sa croissance. De plus, il est mis à contribution aux travaux agricoles dès son plus jeune âge. Son espérance de vie en 1850, si tout se passe bien, est d'environ une quarantaine d'années.
 
 
6
C'est un balai fait maison. Les gens ne sont pas riches et tout le mobilier, les outils ménagers et le matériel agricole sont faits à la main, localement, directement par les habitants ou les artisans du coin, peu chers. Le troc ou l'échange de travaux et services est aussi fréquent, ce qui était très positif.
 
 
7
Marie, comme toutes les filles de son âge, n'est sans doute pas restée très longtemps à l'école. Il faut survivre et travailler pour la famille. Même si la scolarité est obligatoire depuis 1882, l'absentéisme était très répandu. Quand on avait besoin des enfants, ils ne se rendaient plus dans des écoles (de toute façon très sinistrées : locaux peu propices à l'étude, matériel scolaire squelettique, mobilier mille fois utilisé, etc.). Marie se mariera donc peut-être très vite, parfois à partir de 13 ans, afin de créer un couple qui sera une sorte d'alliance de survie.
 
 
8
Louise a 16 ans. Peut-être est-elle est enceinte. Quand cela arrive à des jeunes filles de son âge, le père présumé nie parfois tout en bloc. Alors, socialement, les futures mères vont en baver, car si elles gardent le bébé, ce sera très compliqué pour elles et leurs enfants tout au long de leur vie. Elles seront stigmatisées. Pour échapper à la honte, elles essaieront peut-être alors de faire appel avec l'aide de leurs parents à une "faiseuse d'anges" (une avorteuse), même si celles-ci étaient moins nombreuses à la campagne. Ces quasi-adolescentes, en panique, risqueront alors leur vie, l'hygiène restant très rudimentaire.
Mais si avorter était un crime depuis 1810, la rigueur de la vie rurale encourageait dans les faits un avortement discret concernant même des femmes mariées (trop d'enfants à nourrir...).
 
 
9
Les murs étaient recouverts de chaux et, dans les airials, l'idée même d'une décoration très présente telle qu'on la conçoit maintenant n'existait pas. Se nourrir et aller à l'essentiel restait en effet une priorité. Donc les habitats ruraux landais étaient souvent misérables, décrépis, rafistolés à la "comme ça peut" et pas du tout isolés. Attention à l'image montrant des maisons "pimpantes", vues à Marquèze, par exemple.
Seules échappaient à cette règle les maisons des riches propriétaires et notables, bourgeois pouvant se permettre le superflu.
 
 
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Le pain constitue l'une des bases de l'alimentation. Les cultures de seigle et de millet permettaient de produire la farine nécessaire à sa fabrication. Il doit pouvoir durer plusieurs jours, et nul doute que les derniers quignons devaient être bien durs, un coup à se déchausser des dents déjà bien fragiles. A noter que dans les airials, les fours à pain sont collectifs. En 1850, la nourriture, peu abondante, est à base d'un régime essentiellement végétarien (œufs, laitages, légumes, soupes, céréales diverses, etc.). La viande reste un luxe réservé aux fins de semaine (pas toujours) ou aux grandes occasions (mariages...).
 
 
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Ces chapeaux de femme en paille, même s'ils ont l'air très élégants, restent toujours d'une couleur très discrète et renvoient surtout à une réalité difficile, les travaux des champs, éreintants, briseurs de dos, quel que soit le temps. Mila Diou ! Qu'il a fait chaud, parfois !
 
 
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La cheminée permet de se chauffer, de cuire la nourriture et de se parler le soir, Netflix étant réservé aux familles riches (fake news, faites un effort, quoi !). C'est un véritable gouffre énergétique qui ne chauffe pas la grande pièce et, en plus, elle fume en général beaucoup. La famille qui dispose d'une cheminée qui ne fume pas est bénie des dieux. Bizarrement, au fil des siècles, et dans beaucoup de campagnes de France, "on a toujours fait les cheminées comme ça", sans vraiment chercher à les améliorer pour mieux en profiter.
En résumé, on se les gelait sévère, l'hiver venu.
 
 
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Chaises basses, chaises plus hautes, ces sièges étaient adaptés à une fonction précise. On retrouvait les sièges bas devant les cheminées où l'on préparait le repas tout en papotant (écosser des haricots, par exemple). Les chaises plus hautes classiques étaient très logiquement regroupées autour de la table. Sur la photo, on voit beaucoup de chaises car il y a beaucoup de personnes. En réalité, ça n'arrivait jamais, sauf cas très exceptionnel, car les chaises étaient peu nombreuses dans la maison.
Le canap', lui... Non, pas de canapé.
 
       

 
   
 
 
Sur ce cliché, les personnages se sont preparés
et portent tous des habits de "fête".

- Photo Félix Arnaudin -

 

 

• Mais quel intérêt ?
C'était d'un sinistre, la description de cette photo !
Oui, c'est vrai, quel est réellement l'intérêt de se servir d'une photo pour imaginer et essayer analyser ce que devait être le passé, un passé assez terrifiant parfois ?
Aucun, car il n'y avait pas besoin d'une photo pour le démontrer.
Cela aurait pu se faire uniquement avec un texte. Mais peut-être qu'en regardant ces femmes assises dans cette salle, il y a plus de 130 ans, il est alors plus facile d'imaginer ces temps d'avant, et de mieux comprendre une réalité banale et pas très folichonne.

 

Le bœuf était un "outil" de travail
et hors de question de même se le rêver en entrecôte.

 

 

 

Car il existait très peu de loisirs (les mariages et fêtes rurales prédominaient). On ne partait jamais en voyage, les problèmes de santé étaient constants et difficilement guérissables, le patriarcat était bien installé, les références culturelles et les rituels sociaux semblaient très resserrés. Pour bien boucler le tout, une soumission réelle imposée par les propriétaires écrasait l'ensemble de la population rurale.

Soit, mais tout ça était tout de même compensé par une réelle entraide entre les familles face aux duretés du quotidien, par des rapports sociaux plus larges, plus conviviaux dus à l'absence de la télévison, d'Internet, des réseaux sociaux ou de divers autres formes actuelles de communication qui occupent férocement le truc mou dans le crâne.

C'est vrai, certaines choses perdurent toujours, ne serait-ce que l'inégalité toujours prégnante des richesses. Cependant, soyons honnêtes, ça n'a l'air de rien, mais du paracétamol ou un IRM, ça aide bien.

Ce n'était pas mieux avant.

 

 


Un quotidien... sévère, dirons-nous
- Photo Félix Arnaudin -

 
   
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