Un peu d'HISTOIRE d'ici ?
1857, une date damnée
dans les landes de Gascogne.

C'est l'année de...
la très grande
ARNAQUE.
 
   
     
   
     
 

Durant l'année 1857, le Monde continue sa vie de Monde. En Amérique se produit un krach boursier qui met 200.000 personnes au chômage, 72 ans avant celui de 1929. En Inde, les premières révoltes contre les britanniques s'intensifient peu à peu. Le poète Alfred de Musset s'éteint et à Vienne, on démolit les fortifications pour les remplacer par un grand boulevard.
Du train-train, quoi.

Mais, en France, il est important de savoir aussi qu'une brebis met bas le 19 juin 1857 sous un pin et que son petit agneau, émerveillé, ne sait pas que la lande qui le voit naître vit ses derniers instants, car le même jour débarque la loi relative à l'assainissement et à la mise en culture des Landes de Gascogne.

Et elle ne sent pas bon.

 

- Photo Félix Arnaudin -

   
 

• Napoléon Barbichette.

Napoléon III "barbichette" est devenu empereur en 1852. Il suit en cela les traces de son oncle, l'autre Napoléon, le premier, qui était un vrai allumé de la coiffe et un grand massacreur devant l'éternel.
En tant qu'empereur, le neveu pense et fait aussi ce qu'il veut, c'est un beau métier, empereur.
Dès 1853, il souhaite donc continuer ce qu'avait entamé son oncle et qui trainait dans les cartons, c'est à dire assécher les Landes de Gascogne. Il est décidé qu'on y plantera beaucoup plus de pins qu'il n'y en avait déjà, on gemmera, on drainera, on fera des levées de terre autour des parcelles, tutto questo.

 
   
 

C'est une erreur que de penser qu'il n'y avait pas de pins dans la lande avant Napoléon Barbichette, malgré ce qu'on en dit dans les manuels scolaires, concernant la nécessité de l'assèchement.

Il y en a toujours eu. On sait par exemple que l'écobuage existait au moyen-âge, les bergers maintenant environ 30% de la forêt.

Comme on dit, l'Histoire est écrite par les vainqueurs et tartiner du pin partout à la louche allait rapporter beaucoup d'argent, il fallait donc un prétexte, quitte à travestir la réalité.

 
   
 

• Du beau boulot.

En effet, de l'avis éclairé des décideurs de l'époque, soi-disant bienfaiteurs de l'humanité, toute cette région est inexploitée, peu peuplée, malsaine car le paludisme y vit heureux, alors, il faut enfin agir et vite, pense-t-on. Trop de projets dans le passé n'ont jamais abouti, il est temps de se remuer.

"Jusque là, oui, il faut voir, pourquoi pas, et plus précisément, donc ?" se demandent, inquiets, les maires des villages concernés.
Plus précisément ?
Eh bien, plus précisément, les habitants des Landes de Gascogne vont se faire avoir jusqu'au trognon, la spoliation sera complète et définitive.
Du beau boulot.

 
 

• Avant et après 1857.

Jusqu'à cette date fatidique, plus de la moitié des terrains appartenaient aux communes. On appelait ces terres les "communaux" et donc, du coup, les bergers faisaient paître leurs troupeaux où ils le voulaient sans contraintes.
C'était une époque ancestrale de grande liberté, où nombre de familles modestes y trouvaient sans nul doute leur compte et la notion de communauté y avait vraiment tout son sens.

Mais badaboum, la loi de 1857 va obliger les communes à assécher leurs terres, puis à vendre ces mêmes terres à des particuliers. Si elles ne peuvent ou ne veulent pas les assécher, alors, l'Etat le fera, mais elles devront rembourser les frais engagés.

 
   
 

Le pin, et uniquement lui, fut l'arbre choisi pour assainir les Landes de Gascogne. Choix judicieux ? Pas vraiment, car un chêne boit autant d'eau qu'un pin, et aurait donc tout aussi bien assécher les marais et lagunes, assèchement d'ailleurs déjà entamé depuis longtemps par les locaux, soit dit en passant.

En plus, un pin pousse mal dans l'eau...

Mais c'est vrai qu'il y avait cette histoire de résine, et de grands intérêts financiers étaient donc en jeu. C'est maintenant que l'on se rend vraiment compte du problème, alors que le gemmage n'existe plus : les flammes adorent le pin.
A la folie.

 
   
 

• Histoires de fumier(s).

La très grande ARNAQUE a commencé et un engrenage implacable va écraser beaucoup de monde. Il marquera aussi durement la fin du système agro-pastoral traditionnel : les animaux fournissaient le fumier nécessaire à l'agriculture, entretenaient la forêt, etc.

Avec la loi de 1857, le berger landais disparaît alors peu à peu du paysage, et c'est tout un monde de traditions millénaires qui s'estompe. Rentabilité et enrichissement au profit d'une classe aisée de la population sont désormais à l'ordre du jour, sous prétexte d'assainir des terres difficiles.

Pour les bergers, fini le mouton et bonjour le mouron.

 

La guerre de sécession ?

 

 

 

La guerre de sécession ?
Qu'est-ce que ça vient faire là ?

Alors, voilà, on vous dit tout, ça se passe en Amérique du Nord et les répercussions seront fatales aux bergers de la lande...



En 1861, la Guerre de Sécession débute aux Etats-Unis. C'est la grande et féroce battle entre le Nord et le Sud. Le Nord, malin, veut étouffer le Sud en installant un embargo et lui serrer le kiki jusqu'à ce que mort s'ensuite.

A l'époque, les gens du Sud produisent entre autres de la résine. Qui dit résine, dit essence de térébenthine et cette essence est surtout vendue à l’Europe.
Mais avec l'embargo, terminé.
Donc, c'est un beau bénef à capter sans tarder, et l'essence de térébenthine des Landes de Gascogne remplacera celle des sudistes. Le marché semble juteux et il sera effectivement très lucratif.

D'où la production de pins et encore de pins à pigne forcée. Les propriétaires des exploitations penseront tout haut que ce n'est pas quelques bergers pouilleux qui allaient les empêcher de se gaver encore et encore, non mais.

- A première vue, pas de bergers de la lande sur cette photo de la Guerre de Sécession. Pourtant, il furent aussi les victimes collatérales de cette guerre lointaine -

 
 

• Argent et colonisation.

Donc, les communes vont devoir revendre les terres à des privés. On vous la fait courte : qui pouvait acheter ces espaces, à votre avis ? Les familles de petits agriculteurs-éleveurs qui vivaient dans le coin ? Ben non, bien sûr. Tout sera acheté par des bourgeois investisseurs habitant généralement dans les grandes villes, alliés du régime.

La richesse était désormais dans le pin landais. Les bergers et leurs bestiaux allaient devoir faire joujou ailleurs. A part qu'ils ne jouaient pas et qu'il s'agissait de leur survie menacée.
Il y avait 1 million de brebis et de moutons en 1850, il n'en reste plus que 250.000 en 1910.
(Comment ? non, ce ne sont pas les mêmes, un mouton, ça ne vit que 10 ans, plus ou moins).

Le massif forestier "industriel", constitué essentiellement de pins grossit, grossit sans discontinuer jusqu'au début du 20ème siècle.
Dans l'esprit de Napoléon Barbichette, il s'agira surtout de rentabiliser et de "coloniser" toute une zone, dont l'esprit communautaire était très mal vu par nombre d'hommes d'affaires de l'époque.
On colonise la Grande Lande, comme on colonise l'Algérie. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, certains citadins considéraient le landais "comme le chainon manquant entre le singe et l'homme".
On pique donc les terres aux landais "qui ne savent pas s'en occuper" comme les américains ont piqué leurs terres aux Indiens.

 


- Grèves et révoltes de résiniers dans les années 1900,
conséquences indirectes de la loi de 1857 -

 

• On ne rigole plus.

Des centaines de kilomètres de clôtures sont posées autour des pins, à la mode australienne. Ce sera un bouleversement sans précédent et de nombreux bergers se donneront la mort.

Déclassement, exode : on ne rigole plus et c'est toute une civilisation exceptionnelle dans son fonctionnement qui est anéantie.
Pourtant, la révolution n'éclatera pas vraiment, et après avoir tout de même épisodiquement mis le feu aux plantations de jeunes pins, les bergers cèderont leur place et deviendront résiniers pour pouvoir manger.

Tout le monde s'attendait en effet à une explosion sociale tant le ressentiment est grand, tant la colère indignée est présente, mais c'est au plutôt au fil des décennies suivantes, que des révoltes endémiques de métayers-gemmeurs débarouleront dans la lande.

La marmite était sous pression depuis 1857 et le couvercle sautera à plusieurs reprises, de 1863 (épisode de Sabres) jusqu'à l'entre-deux-guerres en passant par 1906 (à Lespéron, par exemple) avec son lot habituel de répression et d'emprisonnement.

Mais c'est une autre histoire...

 
   
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